1

 

Anya, déesse de l’Anarchie, fille de Dysnomia, dispensatrice du désordre, se tenait au bord de la piste de danse. Il y avait surtout des femmes, nues et très belles, choisies par les Seigneurs de l’ombre pour les divertir – verticalement et horizontalement – durant cette nuit de fête.

Des volutes de fumée enveloppaient les danseuses d’un brouillard irréel, et des points lumineux, pareils à des étoiles, tombaient de la lumière stroboscopique en dessinant de lents cercles sur leurs corps parfaits. Du coin de l’œil, Anya distingua un fessier musclé de guerrier qui luisait au rythme de ses va-et-vient contre une femelle en transe.

Ça, c’est une fête…, songea-t-elle.

Elle eut un sourire coquin. Personne ne l’avait invitée, mais elle était venue tout de même.

Je n’aurais manqué ça pour rien au monde.

Les Seigneurs de l’ombre, ces magnifiques guerriers possédés par les démons de la boîte de Pandore, disaient aujourd’hui adieu à Budapest, la ville dans laquelle ils s’étaient terrés pendant des centaines d’années. La nuit promettait d’être chaude.

Anya était venue participer aux réjouissances parce qu’elle s’intéressait à l’un d’eux.

— Je suis là, laissez-moi passer, murmura-t-elle.

Elle avait été tentée de crier « Au feu ! », juste pour le plaisir de déclencher une bousculade, mais elle s’était retenue.

Le rythme endiablé qui sortait des enceintes, aussi endiablé que celui de son cœur, empêchait les danseuses de l’entendre, mais elles lui obéirent, poussées par une force qui les dépassait.

Un chemin s’ouvrit lentement devant elle.

Enfin, l’objet de sa fascination lui apparut. Elle en eut le souffle coupé. Lucien. Avec son visage balafré et son calme irrésistible. Lucien, possédé par l’esprit de la Mort. Il était installé à une table et contemplait d’un air neutre Reyes, l’un de ses compagnons.

Que pouvaient-ils bien se dire ? Inquiète à l’idée que Lucien puisse demander au gardien de la Douleur de lui procurer une femelle, elle inclina discrètement la tête de côté, pour mieux se concentrer sur leur conversation et écarter le bruit ambiant.

— … elle n’a pas menti. J’ai étudié les photos satellite sur l’ordinateur de Torin. Les temples surgissent en ce moment de la mer, dit Reyes tout en avalant d’une traite le contenu de la petite bouteille argentée qu’il tenait à la main. L’un en Grèce, et l’autre près de Rome. Et s’ils continuent à émerger à cette allure, nous pourrons bientôt les fouiller.

— Comment se fait-il que les humains ne se soient aperçus de rien ? demanda Lucien.

Il frotta les cicatrices de son menton avec deux doigts, signe qu’il était perplexe.

Tout en se réjouissant qu’ils ne parlent pas de sexe, elle songea qu’ils étaient bien naïfs. Les humains ne voyaient pas les temples parce qu’elle les dissimulait derrière le chaos, sa grande spécialité, en déclenchant autour d’eux de violents orages. Et si eux, les Seigneurs de l’ombre, avaient pu les localiser, c’était parce qu’elle l’avait décidé.

Elle voulait que Lucien parte fouiller les temples, qu’il quitte cette ville et ses habitudes. Au moins pour quelque temps. Un homme qui perdait ses repères était plus facile à manœuvrer.

Reyes soupira.

— Je suppose que les nouveaux dieux l’ont décidé ainsi, pour nous pousser à nous rendre sur place. J’avoue que ça m’inquiète. Ils nous haïssent parce que nous abritons en nous des démons et qu’ils ont hâte de nous détruire.

Lucien accueillit le commentaire avec une expression parfaitement indifférente.

— Peu importe. Nous partirons demain matin, comme prévu. Je brûle d’impatience de fouiller ces temples. Nous devons absolument trouver la boîte de Pandore.

Anya se passa la langue sur les dents. Cette maudite boîte – alias Démoniaque ou boîte de Pandore – avait été sculptée dans les os de la déesse de l’Oppression pour contenir de terribles démons. Les démons s’étaient échappés et les Seigneurs de l’ombre en étaient devenus les gardiens, mais Démoniaque possédait toujours le pouvoir de les attirer. Si elle réapparaissait, ils quitteraient leurs hôtes, et ceux-ci risquaient d’en mourir. On comprenait qu’ils recherchent la boîte pour la détruire.

De nouveau, Lucien acquiesça.

— Tu auras tout le temps de réfléchir à ça demain, dit-il. Pour le moment, je te conseille de profiter de notre dernière soirée à Budapest. Et de ne plus perdre de temps avec un homme ennuyeux comme moi.

Ennuyeux ? Ce n’était pas l’avis d’Anya. Jamais elle n’avait rencontré un être aussi complexe et aussi passionnant.

Reyes parut d’abord hésiter, puis il se leva lentement et abandonna Lucien, qui demeura seul. Anya remarqua que les mortelles tremblaient d’effroi quand elles posaient les yeux sur son visage couvert de vilaines cicatrices. Elles ne se risquaient pas à l’approcher, et elles avaient raison, parce que leur vie en était épargnée.

Il est à moi, bande de garces. Ne le touchez pas !

— Remarque-moi, ordonna-t-elle tout bas.

Quelques minutes passèrent, mais Lucien ne réagit pas.

Plusieurs humains se tournèrent vers Anya, obéissant à son injonction, mais le regard de Lucien demeura rivé à la bouteille vide devant lui, avec une lueur de mélancolie qu’elle n’avait pas remarquée quelques instants plus tôt. Une fois de plus, elle constata que les immortels n’étaient pas sensibles à ses ordres. Sans doute le devait-elle à l’intervention des dieux.

— Les salauds…, murmura-t-elle.

Ils faisaient décidément tout ce qu’ils pouvaient pour limiter son pouvoir.

Durant son séjour sur le mont Olympe, Anya n’avait pas eu droit à un traitement de faveur. Les déesses l’avaient considérée avec méfiance, persuadées qu’elle était une réplique de sa « catin de mère », c’est-à-dire une voleuse de maris. Pour la même raison, les dieux l’avaient méprisée, tout en la désirant. Mais depuis qu’elle avait tué leur précieux capitaine de la Garde, ils la traitaient comme une bête sauvage, une pestiférée.

Les imbéciles… Cette petite frappe de capitaine avait tenté de la violer : elle ne regrettait pas de lui avoir arraché le cœur et de l’avoir planté sur une pique devant le temple d’Aphrodite. Pas le moins du monde. Anya ne plaisantait pas avec la liberté, surtout avec la sienne. Et toute personne qui tentait de la limiter était assurée de tâter de son poignard.

La liberté… Le mot résonna dans sa tête, la ramenant au présent. Après tout, Lucien aussi était libre. Libre de ne pas vouloir d’elle, libre de la rejeter. Il paraissait si lointain, si inaccessible… Comment allait-elle s’y prendre pour le séduire ?

Pose les yeux sur moi, Lucien, je t’en prie !

De nouveau, il l’ignora.

Elle avança vers lui à grands pas. Depuis plusieurs semaines, elle le suivait en restant invisible. Des jours durant, elle l’avait admiré et convoité. Il ne s’était aperçu de rien, pas même quand elle avait tenté de l’obliger à se déshabiller et à se caresser. Elle lui avait même ordonné de sourire, pour le plaisir de contempler son beau visage transfiguré par la joie.

Mais son pouvoir n’avait pas de prise sur lui, et il n’avait accédé à aucune de ses requêtes.

Il lui arrivait de regretter d’avoir rencontré Lucien. De regretter ce jour où Cronos, le nouveau roi des dieux, avait excité sa curiosité en lui parlant des Seigneurs de l’ombre.

Cronos s’était récemment échappé de Tartarus, la prison des immortels, un endroit qu’Anya connaissait bien pour y avoir elle-même séjourné assez longuement. Cronos y avait maintenant emprisonné Zeus et sa cohorte de dieux et de déesses – et parmi eux, les parents d’Anya, qu’elle s’était empressée de libérer. Elle, il ne l’avait pas enfermée parce qu’il ne le pouvait pas, mais il lui avait réclamé son trésor le plus précieux. Elle avait refusé, bien entendu, et il avait tenté de l’impressionner pour l’obliger à céder.

« Si tu ne m’accordes pas ce que je te réclame, je te donnerai en pâture aux Seigneurs de l’ombre, des guerriers immortels possédés par les démons de la boîte de Pandore. Ce sont des bêtes assoiffées de sang, et ils n’hésiteront pas à découper en morceaux ton joli petit corps. »

Non seulement la menace de l’avait pas effrayée, mais elle avait attisé sa curiosité. Elle était aussitôt partie à la recherche de ces terribles guerriers démoniaques, dans l’intention de les attaquer et de les vaincre, et d’aller ensuite rire à la face de cet abruti de Cronos, qui croyait l’impressionner avec des démons de pacotille.

Mais quand ses yeux s’étaient posés sur Lucien, elle s’était sentie prise au piège. Elle avait oublié ses intentions premières, au point de lui venir en aide. Lucien et ses compagnons étaient en effet possédés, mais ils luttaient contre leurs démons et s’efforçaient de conserver leur dignité de guerriers.

Ils oscillaient entre le bien et le mal, particularité qui intéressait et excitait Anya au plus haut point. Lucien, notamment, était une contradiction vivante. C’était un homme blessé, mais pas brisé. Doux, mais inflexible, calme – très loin de la bête assoiffée de sang décrite par Cronos. Il était aussi droit et intègre. Chaque jour, il emportait les âmes des mourants, et pourtant, il se battait pour vivre.

Il était tout simplement fascinant.

Et, comme si cela ne suffisait pas, il diffusait dans son sillage des effluves d’un parfum de rose qui inspirait à Anya des pensées obscènes. Un homme qui embaumait la rose, ça aurait dû la faire rire, mais la forte odeur de rose dégagée par Lucien la faisait plutôt saliver et frissonner.

En ce moment, par exemple, quand elle songeait que quelques pas seulement la séparaient des émanations odorantes de Lucien, elle en était toute retournée. Elle se frictionna les bras, pour lutter contre la chair de poule. Mais du coup, elle songea à ses mains sur lui, et en frissonna d’autant plus.

Par tous les dieux, ce qu’il pouvait être séduisant… Il avait les yeux les plus magnifiques qu’elle ait jamais vus. L’un était bleu, l’autre marron, et tous deux reflétaient la présence de l’homme et du démon en lui. Et ces balafres… Elle les dévorait des yeux, avec une furieuse envie de lécher cette émouvante trace de ses souffrances passées.

— Tu danses avec moi, poupée ? fit soudain une voix aux intonations chaudes et envoûtantes.

Elle reconnut Paris, qui venait d’apparaître à ses côtés. Il avait dû en finir avec la femelle qu’il écrasait contre le mur quelques minutes plus tôt, et en cherchait une autre pour assouvir son inextinguible soif de sexe.

Qu’il cherche donc ailleurs.

— Laisse-moi tranquille, lança-t-elle d’un ton peu amène.

Il ne parut pas se formaliser de son manque d’enthousiasme et la prit par la taille.

— Ça va te plaire, je t’assure que tu ne le regretteras pas…

Elle le repoussa d’un petit mouvement sec du poignet. Paris était possédé par le démon de la luxure. Il avait une peau pâle et incroyablement lumineuse, des yeux d’un bleu électrique, un visage d’ange qui lui valait l’adoration des femmes… Mais il n’était pas Lucien, et Anya était parfaitement insensible à son prétendu charme irrésistible.

— Ne pose pas tes mains sur moi, gronda-t-elle. Si tu ne veux pas que je te les coupe.

Il rit, comme s’il pensait qu’elle plaisantait, sans se douter qu’elle était capable de ça et de bien plus. Être la déesse de l’Anarchie n’empêchait pas d’avoir des principes : elle ne menaçait jamais en vain. Ne pas mettre une menace à exécution était un signe de faiblesse, et Anya s’était juré depuis bien longtemps de ne plus montrer aucun signe de faiblesse.

Elle ne pouvait pas se le permettre. Ses ennemis auraient exploité la moindre de ses failles.

Heureusement, Paris ne chercha pas à la toucher.

— Pour un baiser de toi, je serais prêt à me laisser couper les mains, dit-il d’une voix rauque.

— Et si je te coupais autre chose, ça te dirait ?

Cette fois, il éclata franchement de rire, ce qui eut pour effet d’attirer l’attention de Lucien, qui leva enfin les yeux de sa bouteille. Son regard s’attarda sur Paris, puis se posa avec insistance sur Anya. Oh ! doux paradis… Elle en oublia aussitôt Paris et se concentra sur l’acte compliqué de respirer. Il lui sembla que les yeux de Lucien étincelaient et que ses narines frémissaient, mais peut-être se faisait-elle des idées.

C’est maintenant ou jamais.

Elle s’humecta les lèvres et, sans quitter Lucien du regard, elle avança vers lui avec son déhanchement le plus sensuel. À mi-chemin, elle s’arrêta et agita son index pour lui faire signe d’approcher. Quelques secondes plus tard, il se tenait devant elle, comme attiré par une chaîne invisible.

De près, il n’était que muscles et puissance. La tentation à l’état pur.

Elle étira lentement ses lèvres en un sourire étudié.

— Nous nous rencontrons enfin, ma rose…

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et pivota pour caler sa hanche gauche contre lui, lui présentant ainsi une vue de son dos. Elle portait un corset noué par de fins rubans et une jupe très courte qui laissait entrevoir la ficelle de son string.

Les hommes, immortels ou pas, craquaient quand on leur montrait ce qu’ils n’étaient pas censés voir.

Lucien poussa un soupir.

Le sourire d’Anya s’élargit. Elle venait de marquer un point.

Sans se préoccuper du rythme trépidant de la musique, elle se mit à tourner lentement sur elle-même, langoureusement, tout en élevant les bras. Puis elle effleura voluptueusement la masse de ses longs cheveux d’un blanc neigeux et se caressa en fermant les yeux.

— Que me veux-tu, femelle ? demanda-t-il d’un ton altéré.

Sa voix chaude fit tressaillir le ventre d’Anya.

— Je veux danser avec toi, murmura-t-elle par-dessus son épaule, tout en continuant ses lentes ondulations en désaccord avec le rythme effréné de la musique. C’est un crime d’avoir envie de danser avec toi ?

Il n’hésita pas.

— Oui.

— Tant mieux. J’adore transgresser les lois. C’est même ma spécialité.

Il parut surpris de sa réponse et se tut.

— Paris t’a payé combien, pour ce petit numéro ? demanda-t-il enfin.

— Payé ? Avec quoi ? Un orgasme ? Paris ne m’intéresse pas.

Elle recula en souriant et frotta ses fesses contre le sexe de Lucien, se cambrant et se déhanchant, mettant dans ce geste toute la sensualité dont elle était capable. Il était en érection et il se dégageait de lui une chaleur qui lui faisait fondre les os.

Dans ses rêves, à ce moment précis, il la prenait dans ses bras et la pénétrait. Mais il recula comme s’il craignait qu’elle n’explose.

La distance qu’il mit entre eux lui fit mal.

— Pas de ça, dit-il.

Il faisait de son mieux pour prendre un ton détaché, mais il paraissait sur le point de craquer. Épuisé. Plus crispé qu’excité, en fait.

Elle plissa les yeux. On les observait. Tout le monde avait remarqué qu’elle tentait de le séduire et qu’il la repoussait.

Vous n’êtes pas au spectacle, leur envoya-t-elle mentalement. Fichez-nous la paix ! Regardez ailleurs.

Ils obéirent, un par un. Du moins les humains obéirent. Les Seigneurs de l’ombre continuèrent à les fixer, curieux sans doute de savoir qui elle était et ce qu’elle voulait.

Ils se méfiaient et elle comprenait aisément pourquoi. Ils étaient poursuivis par un groupe d’humains – les chasseurs – qui prétendaient créer un monde parfait. Les chasseurs voulaient éliminer les Seigneurs de l’ombre et emprisonner leurs démons.

Ignore-les. Tu n’as pas de temps à perdre. Elle tourna son visage vers Lucien, tout en continuant à lui présenter son dos.

— Où en étions-nous ? lui demanda-t-elle d’une voix rauque.

L’un de ses doigts suivit la mince ficelle de son string, en remontant vers le haut, jusqu’à ce qu’il pose les yeux sur l’ange phosphorescent qui était tatoué là.

— Je m’apprêtais à partir, lâcha-t-il sèchement.

La réponse fit jaillir ses griffes. Ainsi, il persistait à refuser ?

Les dieux la cherchaient pour l’abattre comme un chien galeux, et pourtant, elle avait pris le risque de se montrer en public. Tout cela pour Lucien. Elle ne quitterait pas cette boîte de nuit sans lui avoir arraché une récompense.

Elle pivota d’un coup de hanche et ses longs cheveux pâles caressèrent ses seins. Puis elle lui fit face, en se mordillant la lèvre supérieure et en bombant la poitrine.

— Je n’ai pas envie que tu partes, protesta-t-elle de ce ton boudeur qui avait déjà fait ses preuves.

Il recula encore d’un pas.

— Qu’est-ce qui ne va pas, mon chéri ? insista-t-elle en avançant. Tu as peur d’une petite fille ?

Il pinça la bouche et ne répondit pas. Mais il ne tenta plus de s’éloigner.

— Tu as peur ? reprit-elle.

— Tu joues un jeu dangereux.

— Je sais parfaitement à quoi je joue, assura-t-elle en le détaillant du regard.

Les lumières colorées et dansantes du club magnifiaient la beauté du corps de Lucien. Il paraissait sculpté dans la pierre. Il portait un T-shirt blanc et un jean délavé qui moulaient ses superbes muscles. Je le veux.

— Je t’ai dit de ne pas me toucher, dit-il avec irritation.

Elle leva les paumes et le regarda droit dans les yeux.

— Je ne te touche pas, chéri.

Mais j’en ai bien l’intention. Je veux…

— Tu me dévorais des yeux, et j’ai cru que les mains allaient suivre, riposta-t-il sèchement.

— C’est que…

— J’accepte de danser avec toi, intervint un autre guerrier.

Paris. Encore lui !

— Non, répondit Anya sans même lui accorder un regard.

Elle voulait Lucien et personne d’autre.

— Cette femme est peut-être un appât, fit une autre voix.

Elle reconnut le timbre profond de Sabin, gardien de la Crainte.

Un appât… Comme si elle était du genre à travailler pour d’autres ! Les appâts se sacrifiaient pour la cause des chasseurs. Leur rôle consistait à occuper les guerriers pour faciliter l’approche des chasseurs. N’importe quelle femme normalement constituée aurait simplement eu envie de rouler dans un lit avec l’un de ces superbes mâles. Anya considérait les appâts comme de pauvres filles.

— Ça m’étonnerait que les chasseurs se soient déjà relevés de l’épidémie, fit remarquer Reyes.

L’épidémie… L’un des guerriers, Torin, était possédé par la Maladie. Il suffisait que sa peau effleure celle d’un mortel pour que celui-ci attrape aussitôt une maladie contagieuse qui se répandait à la vitesse de l’éclair et décimait les populations.

Pour protéger les humains de cette malédiction, Torin portait des gants et ne sortait quasiment jamais du château. Mais des chasseurs l’avaient attaqué la semaine précédente, sur le domaine du château, pour lui trancher la gorge.

Torin avait survécu à leur attaque et les avait contaminés.

Malheureusement, il en restait d’autres, ailleurs. En vérité, ils étaient aussi nombreux que des mouches. Quand on en éliminait un, deux autres venaient le remplacer. Ils préparaient sans doute en ce moment même une nouvelle attaque. Les guerriers devaient se montrer prudents.

— De plus, aucun chasseur n’aurait pu passer au travers de notre système de sécurité, ajouta Reyes dont la voix dure tira Anya de sa rêverie.

— Ils ont pourtant réussi, il n’y a pas si longtemps que ça, fit remarquer Sabin. Et Torin en a fait les frais.

— Paris, surveille-la pendant que je vérifie qu’il n’y a pas de chasseurs dans les parages ! ordonna Reyes.

Puis il s’éloigna en jurant tout bas.

Zut ! S’ils trouvent des chasseurs dans le coin, Lucien sera persuadé que je suis un appât. Il ne me fera plus confiance. Et adieu ma récompense…

Cette idée la rendit folle d’impatience. Mais elle s’efforça de conserver un air indifférent.

— J’ai vu qu’il y avait du monde et je suis entrée, c’est tout, dit-elle à Paris et à l’autre guerrier, lequel la fixait avec intensité. Et j’aimerais bien que vous me laissiez tranquille avec ce grand garçon, ajouta-t-elle.

Ils avaient parfaitement entendu, mais ils ne bougèrent pas.

Puisqu’ils le prenaient ainsi…

Elle les contourna sans un mot et, le regard rivé à celui de Lucien, elle se mit à onduler en se caressant le ventre.

Viens faire la même chose avec tes mains, ordonna-t-elle mentalement.

Bien entendu, il n’obéit pas, mais ses narines eurent de nouveau ce délicieux frémissement et ses yeux suivirent le mouvement de ses paumes. Il avala sa salive.

— Danse avec moi, murmura-t-elle.

Cette fois, elle l’avait dit tout haut, pour l’obliger à réagir. Elle s’humecta les lèvres.

— Non, grommela-t-il dans un murmure rauque et à peine audible.

Il battit des paupières et elle eut une bouffée d’espoir. Mais comme il ne faisait toujours pas un geste vers elle, elle se sentit brusquement découragée. Le temps jouait contre elle. Elle ne pouvait pas se permettre de s’attarder ici.

— Tu ne me trouves pas désirable, ma rose ?

Un muscle tressaillit sous l’œil de Lucien.

— Ne m’appelle pas comme ça, protesta-t-il.

— Tu ne me trouves pas désirable, mon chou à la crème ?

Il serra les dents.

— Peu importe comment je te trouve, grommela-t-il.

— Tu ne réponds pas à ma question, fit-elle remarquer avec ce ton boudeur auquel les hommes avaient tant de mal à résister, d’ordinaire.

— Je n’avais pas l’intention d’y répondre, rétorqua-t-il.

Bon sang ! Il était vraiment coriace.

Essaye autre chose. Vas-y carrément. Sois directe.

Encore plus directe ?

Elle lui tourna le dos et se pencha en avant. Sa jupe remonta sur ses cuisses, donnant à Lucien une vue plongeante sur son string bleu et sur les deux ailes qui se déployaient sur ses fesses. Puis elle se redressa, en prenant au passage une position plus que suggestive, tout en tournant sur elle-même pour lui présenter un panorama complet de ce qu’elle avait à lui offrir.

Il se raidit. Il en avait visiblement le souffle coupé.

— Tu sens les fraises à la crème, dit-il avec un regard de prédateur prêt à bondir.

Viens. Viens. Viens.

— Et si j’avais aussi un goût de fraises à la crème ? minauda-t-elle en battant des cils comme une forcenée, même si la comparaison lui paraissait vaguement insultante. Ça te dirait de vérifier ?

Il laissa échapper un étrange grognement sourd et fit un pas menaçant dans sa direction. Puis il éleva lentement une main – elle eut le temps de se demander s’il s’apprêtait à la gifler ou à la prendre dans ses bras, mais il ferma le poing tout en arrêtant son geste à mi-parcours. Jusque-là, il n’avait manifesté qu’une indifférence teintée de curiosité, mais à présent, il paraissait prêt à l’étrangler.

— Tu as de la chance que je ne te donne pas sur-le-champ la raclée de ta vie, dit-il en abaissant son bras.

Elle cessa de se tortiller et le fixa bouche bée. Il voulait la battre parce qu’elle avait un goût de fruit ? C’était… C’était franchement désespérant… Enfin, non, pas désespérant. Décevant. Vu qu’elle le connaissait à peine, il n’avait pas le pouvoir de la désespérer.

Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il s’agenouille devant elle, mais elle aurait cru qu’il répondrait favorablement à ses avances. Au moins ça.

D’ordinaire, les hommes appréciaient que les femmes prennent l’initiative. Ou alors ils avaient changé… Elle observait les mortels depuis des milliers d’années, elle savait de quoi elle parlait. Tu oublies que Lucien n’est pas un mortel…

Pourquoi ne veut-il pas de moi ?

Elle l’avait surveillé pendant plusieurs jours et elle ne l’avait jamais surpris avec une femme. Il considérait Ashlyn, l’amante de son compagnon, avec respect et tendresse. Quant à Cameo, l’unique femme du groupe de guerriers immortels, il la traitait avec une douceur paternelle. Aucune des deux ne lui inspirait du désir.

Était-il déjà amoureux ? Si c’était le cas, elle ferait la peau à la garce qui avait su capter son attention.

Elle se passa la langue sur les dents et planta ses mains sur ses hanches. La fumée continuait à s’élever en tourbillons dans le local, créant une atmosphère floue et onirique. Les femelles humaines étaient revenues sur la piste de danse et se déhanchaient lascivement pour attirer le regard des immortels. Mais ceux-ci ne quittaient pas Anya des yeux. Ils attendaient le retour de Reyes et son verdict.

Lucien n’avait pas bougé d’un millimètre, comme s’il avait pris racine. Anya songea à filer, avant que Cronos ne la trouve. Mais elle releva le menton d’un air décidé et donna un ordre mental pour changer la musique diffusée par les haut-parleurs et la remplacer par une mélodie douce et sensuelle.

Elle s’efforça d’adoucir aussi l’expression de son visage et avança vers Lucien d’un pas nonchalant, réduisant la distance qui les séparait. Elle caressa du bout des doigts son torse musclé et frissonna. Il ne voulait pas qu’elle le touche ? Eh bien, il apprendrait qu’Anya, déesse de l’Anarchie, n’était pas un petit chien obéissant.

Cette fois, au moins, il ne recula pas.

— Le meilleur moyen de te débarrasser rapidement de moi serait de m’accorder une danse, dit-elle en ronronnant.

Et pour mieux se faire comprendre – et aussi lui donner envie d’accepter –, elle se hissa sur la pointe des pieds et lui mordilla le lobe de l’oreille.

Il laissa échapper une sorte de grognement et referma enfin ses bras sur elle. Au début, elle crut que c’était pour mieux la repousser, mais il la pressa contre lui et la plaça à califourchon sur sa cuisse gauche, en écrasant ses seins contre son torse.

— Tu veux danser, nous allons danser, murmura-t-il.

Il se mit à imprimer un balancement à leurs deux corps enchevêtrés. Des étincelles de plaisir la traversèrent, voyageant dans ses veines, à travers tout son corps.

Par tous les dieux, c’était encore mieux que ce qu’elle avait imaginé… Elle ferma les yeux en signe de reddition. Lucien était grand. Tellement grand… Ses larges épaules l’enveloppaient, son souffle chaud lui caressait tendrement la joue. En tremblant, elle fit remonter ses mains le long de son dos pour les enfouir dans la masse de ses noirs cheveux si doux.

Calme-toi, ma petite… Même s’il l’avait désirée autant qu’elle le désirait, elle ne pouvait pas le posséder. Pas entièrement. Car elle aussi était maudite. Elle n’avait droit qu’aux préliminaires. Tant pis. Au moins, elle en profitait. Pleinement. Lui aussi avait l’air d’apprécier cet instant.

Il frotta son nez contre sa mâchoire.

— Tous les hommes te regardent et j’ai l’impression qu’ils ont tous envie de toi, dit-il doucement.

Mais le ton était dur, aigu, coupant comme une lame.

— Pourquoi m’avoir choisi ? insista-t-il.

— Parce que, répondit-elle en inspirant avec délices son entêtante odeur de rose.

— Tu n’as pas répondu à ma question.

— Je n’avais pas l’intention d’y répondre, répliqua-t-elle sur le même ton que lui quelques instants plus tôt.

Anya sentait les seins de Lucien durcir un peu plus chaque fois qu’ils effleuraient son corset. Elle n’était plus présente qu’à cet homme qui la serrait contre lui. Jamais elle n’avait eu avec un être, mortel ou immortel, un contact aussi sensuel… Aussi… Aussi juste ?

Il la prit par les cheveux et tira si fort qu’elle crut qu’il allait emporter une mèche.

— Tu peux avoir n’importe qui, et ça t’amuse d’exciter le plus laid de cette assemblée ?

Le plus laid ?

Pour elle, il était le plus beau.

— Tu n’y es pas, chéri, rétorqua-t-elle. Il se trouve simplement que je n’éprouve aucune attirance pour les minets du genre de Paris.

Il parut déconcerté et se tut. Puis il fronça les sourcils et la relâcha. Enfin, il secoua la tête, comme s’il voulait remettre de l’ordre dans ses idées.

— Je sais que je suis laid et terriblement repoussant, grommela-t-il sans la moindre trace d’amertume.

Elle se raidit et sonda le regard de ses beaux yeux vairons. Il ignorait donc à quel point il avait du charme ? Personne ne lui avait jamais dit que sa force et son énergie sauvage de mâle étaient littéralement captivantes ?

— Si tu fais allusion à tes cicatrices, sache que je les trouve incroyablement sexy et délicieusement inquiétantes, murmura-t-elle. Et toi aussi, tu es délicieusement inquiétant.

Elle voulait vraiment de lui, et il fallait qu’il le sache. Un autre frisson la parcourut et la secoua jusqu’au bout des ongles. Caresse-moi encore.

Il baissa les yeux vers elle.

— Délicieusement inquiétant ? répéta-t-il. Tu voudrais que je te fasse mal ?

Elle sourit.

— Je ne dirais pas non à une fessée.

Les narines de Lucien frémirent de nouveau.

— Et donc, tu n’es pas rebutée par mes cicatrices, commenta-t-il d’une voix dénuée d’émotion.

— Si elles me rebutent ?

Non seulement ses cicatrices ne gâchaient pas son visage, mais elles le rendaient irrésistible.

Plus près… Plus près… Enfin, ils étaient l’un contre l’autre. Dieux du ciel… Elle fit glisser ses mains sur son torse, en s’attardant sur ces seins qui se tendaient vers elle, explorant du bout des doigts les muscles puissants et bien dessinés de son torse qui l’accueillaient.

— Tes cicatrices, elles me rendent folles, murmura-t-elle.

— Menteuse !

— Je ne me gêne pas pour mentir quand ça m’arrange, avoua-t-elle. Mais là, ce n’est pas le cas.

Elle le dévisagea longuement. Ces cicatrices étaient larges et profondes. Il avait dû souffrir considérablement. Cette idée la révolta autant qu’elle l’excita. Qui avait osé lui faire du mal ? Et pourquoi ? S’agissait-il d’une amante trahie ?

D’ordinaire, les immortels guérissaient spontanément de leurs blessures. Et sans cicatrices. Que lui était-il arrivé ?

Dissimulait-il d’autres marques similaires sur le corps ? Un nouveau courant de désir la submergea et ses genoux flageolèrent. Elle l’avait espionné pendant des semaines, mais elle n’avait jamais réussi à l’apercevoir nu. Il s’était toujours arrangé pour se laver et se changer après son départ.

Avait-il senti sa présence ?

— Je pourrais considérer que tu es un appât, comme mes compagnons, fit-il sèchement remarquer.

— Et pourquoi ne me considères-tu pas comme un appât ?

Il haussa un sourcil.

— Tu en es un ?

Il l’entraînait sur un terrain glissant. Se défendre d’être un appât aurait été reconnaître qu’elle savait de quoi il s’agissait, et donc, pour Lucien, avouer qu’elle en était un. Mieux valait donc manœuvrer pour sortir de là.

— Tu voudrais que j’en sois un ? demanda-t-elle en minaudant. Je ferais n’importe quoi pour te plaire, tu sais.

— Ça suffit, grommela-t-il.

Il avait abandonné son masque impassible, juste l’espace d’une seconde, et son visage fut embrasé d’une intensité absolument stupéfiante. Par tous les dieux… Elle était prête à se brûler les ailes.

— Tu joues un jeu dangereux, reprit-il.

— Je ne joue pas, ma rose, je t’assure.

— Alors dis-moi ce que tu veux de moi. Et je te conseille de ne pas mentir.

Cette fois, elle n’avait que l’embarras du choix pour répondre. Elle voulait passer des heures à le déshabiller et à l’explorer. Elle voulait qu’il la déshabille et qu’il l’explore. Elle voulait qu’il lui sourit. Elle voulait sa langue au plus profond de sa bouche.

Pour le moment, seule la dernière proposition paraissait réalisable. Et en trichant. Heureusement, elle trichait abondamment. Et sans scrupules.

— Je vais te prendre un baiser, dit-elle en fixant sa bouche. Ce que je veux, c’est un baiser.

— Je n’ai pas trouvé de chasseurs, intervint Reyes qui venait de les rejoindre.

— Ça ne veut rien dire, répliqua Sabin.

— Elle n’est pas un appât, affirma Lucien sans la quitter du regard, tout en congédiant ses compagnons d’un geste de la main. Laissez-moi seul avec elle.

Il paraissait très sûr de lui, et elle en fut stupéfaite. Ainsi, il tenait à rester seul avec elle. Génial ! Mais Sabin et Reyes ne bougèrent pas.

— Nous ne nous connaissons pas, lui dit-il, reprenant leur conversation là où ils l’avaient laissée.

— Et après ? Deux étrangers peuvent se plaire, commenta-t-elle en se cambrant pour pousser son pubis contre son sexe en érection.

Mmm… Il était toujours aussi dur.

— Un petit baiser, ce n’est pas grand-chose, n’est-ce pas ? insista-t-elle.

Il enfonça ses doigts au creux de sa taille, pour l’empêcher de s’approcher davantage.

— Et ensuite tu me laisseras tranquille ?

Elle aurait dû se sentir blessée, mais elle était submergée par la marée de plaisir que provoquait leur étreinte. Tous ses sens s’affolaient. Une chaleur inhabituelle et tout à fait délicieuse se répandit dans son ventre.

— Oui.

Puisqu’il ne voulait rien donner de plus, elle se contenterait de ce baiser. Et tant pis si cela ne suffisait pas à assouvir sa faim : elle en profiterait autant qu’elle le pourrait, et elle était prête à utiliser la force ou la ruse pour le lui arracher. Elle n’en pouvait plus de l’imaginer. Il fallait qu’elle sache s’il était aussi merveilleux qu’elle l’escomptait. Sûrement pas, au fond. Elle serait déçue, et cela la calmerait une bonne fois pour toutes.

— Je ne comprends pas où tu veux en venir, murmura-t-il en fermant à demi les paupières.

Ses longs cils posèrent des ombres menaçantes sur son visage, le rendant plus inquiétant que jamais.

— Ce n’est pas grave, dit-elle. Moi non plus, je ne comprends pas.

Il se pencha vers elle et son haleine parfumée à la rose la pénétra comme une flamme.

— Un simple baiser, murmura-t-il tout contre sa bouche. Tu fais beaucoup d’histoires pour pas grand-chose.

Il se trompait. Un simple baiser, c’était beaucoup. Le cœur battant d’impatience, elle suivit du bout de la langue la courbe des lèvres charnues de Lucien.

— Tu es toujours aussi bavard avec les femmes ? demanda-t-elle.

— Non.

— Embrasse-la, Lucien, sinon c’est moi qui vais le faire, intervint Paris avec un rire nerveux.

Mais Lucien ne se décidait pas à céder. Elle sentait son cœur battre contre ses côtes. Était-il gêné par leur public ? Tant pis pour lui…

— Tout cela est vain, murmura-t-il.

— Quelle importance ? L’essentiel, c’est de s’amuser, non ? Et maintenant, cesse de temporiser. Il est temps de passer à l’action.

Elle lui prit la tête entre les mains et l’inclina pour écraser sa bouche sur la sienne. Il entrouvrit aussitôt les lèvres et leurs langues se heurtèrent, humides et exigeantes. Il avait une bouche brûlante, avec un invraisemblable goût de rose mentholée.

Elle se pressa un peu plus contre lui et des plumes de feu la transpercèrent. Quand elle se frotta contre son sexe, il empoigna ses cheveux en prenant totalement possession de sa bouche. Ce fut comme s’il lui ouvrait les portes du paradis. Elle fut soudain emportée dans un tourbillon de passion, une soif de plaisir que lui seul pouvait étancher.

Autour d’eux, il y eut des huées et des sifflements d’encouragement.

Anya sentit ses pieds qui quittaient le sol, puis, quelques secondes plus tard, son dos fut plaqué contre un mur glacé. Les encouragements se turent brusquement.

Nous devrions sortir, songea-t-elle vaguement.

Puis elle se laissa aller et, tout en gémissant, passa ses jambes autour de sa taille. L’une des mains de Lucien lui broya la hanche – par tous les dieux, que c’était bon… –, pendant que l’autre fourrageait dans ses cheveux, et que des doigts impitoyables s’accrochaient à ses mèches bouclées pour placer son visage dans un angle favorable à une rencontre plus approfondie.

— Tu es tellement désirable, murmura-t-il d’un ton fiévreux.

— Je te désire aussi, répondit-elle. Ne parle pas. Embrasse-moi encore.

Il perdit totalement le contrôle de lui-même et poussa sa langue plus avant, avec tant de violence que leurs dents s’entrechoquèrent.

Elle aurait voulu que cette étreinte ne finisse jamais.

— Encore, dit-il d’une voix rauque, tout en posant ses mains sur ses seins.

Ils durcirent aussitôt.

— Oui…, gémit-elle. Encore. Encore.

— C’est si bon…

— Incroyablement bon.

— Caresse-moi, grommela-t-il.

— Je te caresse.

— Non. Caresse-moi vraiment.

Lui aussi avait donc envie d’elle. Il voulait sentir ses mains sur sa peau, il n’avait pas l’intention de se contenter d’un baiser.

— Avec plaisir, murmura-t-elle.

Elle souleva le bord de son T-shirt et le fit lentement remonter d’une main, pendant que l’autre effleurait son ventre. Ses doigts rencontrèrent des cicatrices chaudes et des muscles qui tressaillaient.

— Oui, comme ça, dit-il en lui mordant la lèvre.

Ce fut comme s’il avait jeté de l’essence sur des flammes. Elle faillit jouir et ne put s’empêcher de gémir, mais ses doigts poursuivirent leur lente avancée vers ses seins, en traçant autour d’eux des cercles concentriques. Puis elle s’arrêta sur ses tétons qu’elle titilla du bout des ongles. Chaque fois qu’elle les touchait, sa chair la plus intime enflait, comme si c’était elle qu’elle caressait.

— J’adore ce que tu me fais, dit-elle.

En réponse, il fit courir sa langue le long de son cou, laissant sur son passage une délicieuse traînée électrique, chaude et lumineuse comme la foudre. Elle ouvrit les yeux et faillit pousser un cri en s’apercevant qu’ils se trouvaient maintenant dehors, contre l’un des murs de la boîte de nuit, dans un recoin sombre. Comme elle, Lucien avait le pouvoir de se transporter d’un endroit à un autre, et il avait dû utiliser ce don si précieux pour les mettre à l’abri des regards des curieux. Le vilain garçon… Elle regretta qu’il n’ait pas choisi d’atterrir dans une chambre.

Une chambre… Elle lutta contre la bouffée de désespoir qui l’envahissait. Les autres femmes avaient le droit de rêver à de douces caresses dans un lit. Pas elle.

— Je te veux, lâcha-t-il d’une voix rauque.

— Tu en as mis, du temps, murmura-t-elle.

Il la contempla quelques secondes avec son étrange regard bleu et marron, puis l’écrasa de nouveau contre le mur pour l’embrasser, longuement, si longuement qu’elle eut l’impression d’être marquée pour toujours au plus profond de son âme. Elle n’était plus Anya l’indocile, mais Anya la femelle de Lucien. Son esclave. Elle aurait tant voulu qu’il la pénètre. Tout de suite. Elle en avait assez de se satisfaire de fantasmes.

— Je veux te sentir, gémit-elle. Je veux tes mains sur moi.

Elle laissa retomber ses jambes et tendit le bras vers sa braguette, pour libérer son sexe et le serrer, mais elle arrêta son geste en entendant des pas.

Lucien les avait entendus aussi, car il se raidit et s’écarta d’elle.

Ils haletaient tous les deux et leurs regards se croisèrent, l’espace de quelques secondes où le temps resta comme suspendu. Des éclairs continuaient à claquer entre eux.

Jamais Anya n’aurait cru qu’un simple baiser déclencherait un tel ouragan de passion.

— Arrange tes vêtements, ordonna-t-il.

— Mais…

Elle n’avait pas la moindre envie de s’arrêter en si bon chemin à cause de quelques importuns. Après tout, il leur était facile de se transporter ailleurs, là où ils seraient seuls.

— Fais-le, insista-t-il. Tout de suite.

Elle comprit qu’il était inutile de lui proposer de disparaître avec elle. Il ne voulait plus d’elle. Il ne songeait même plus à l’embrasser. Elle le lisait sur son visage.

Son haut était remonté au-dessus de ses seins et, comme elle ne portait pas de soutien-gorge, ses tétons roses brillaient comme deux phares dans la nuit. Sa jupe retroussée jusqu’à la taille dévoilait le minuscule morceau de tissu de son string.

Elle rajusta ses vêtements, en se sentant rougir – elle qui n’avait jamais rougi de rien. Ses mains qui tremblaient témoignaient de son trouble et elle leur ordonna de cesser, mais elles refusèrent de lui obéir.

Des compagnons de Lucien, des Seigneurs de l’ombre, apparurent au coin du bâtiment. Ils paraissaient mécontents.

— J’adore quand tu disparais comme ça, dit Gideon sur un ton mécontent qui démentait ses paroles.

Gideon était possédé par le démon de la tromperie, et il disait le contraire de ce qu’il pensait. Anya ne fut pas surprise de son commentaire.

— La ferme ! intervint Reyes avec irritation.

Pauvre Reyes, gardien de Douleur, qui passait le plus clair de son temps à s’infliger des tortures. Une fois, Anya l’avait surpris à se jeter du haut d’une tour du château et à se délecter des souffrances provoquées par ses os brisés.

— Même si cette femme paraît inoffensive, tu ferais bien de vérifier qu’elle n’est pas armée, avant d’avaler sa langue, déclara Reyes à Lucien.

— Je suis pratiquement nue, fit-elle remarquer d’un ton exaspéré.

Personne ne lui prêta attention, mais elle poursuivit tout de même.

— Je les cacherais où, mes armes ? insista-t-elle.

Elle en cachait plusieurs, mais une femme était bien obligée de se protéger.

— Je contrôle la situation, répondit Lucien de sa voix posée. Et je suis capable de maîtriser une simple femelle, armée ou non.

D’ordinaire, le calme de Lucien fascinait Anya, mais là, elle le trouva agaçant. Elle haletait encore, ses jambes tremblaient, son cœur battait comme un tambour, mais lui paraissait avoir tout oublié de la vague de passion qui les avait submergés quelques secondes plus tôt.

— Tu sais qui elle est, au moins ? insista Paris.

— Pas une simple femelle, en tout cas, fit remarquer Reyes. Tu t’es transporté avec elle et elle n’a même pas poussé un cri.

Tous les regards convergèrent vers Anya.

— Ça suffit, protesta-t-elle. Je ne vous dirai rien. Fichez-moi la paix.

— Vous ne figurez pas sur ma liste d’invités, reprit Paris. Et d’après Reyes vous n’êtes venue avec personne. Pourquoi cherchez-vous à séduire Lucien ?

Il n’envisageait pas une seconde qu’elle puisse être attirée par Lucien. Il ne faisait que dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, mais sa désinvolture déplut à Anya.

— Et si je vous répondais tout simplement qu’il me plaît ? rétorqua-t-elle.

Elle les défia du regard, l’un après l’autre, en évitant toutefois Lucien. Elle n’aurait pas supporté de contempler une fois de plus son expression détachée et indifférente.

— Je l’ai vu, il m’a plu, je suis allée vers lui, reprit-elle. Il n’y a pas de quoi en faire une histoire.

Ils croisèrent posément leurs bras sur leur poitrine, façon de lui montrer qu’ils n’en croyaient pas un mot. Ils formaient à présent un demi-cercle autour d’elle, et pourtant elle ne les avait pas vus bouger. Elle se retint de lever les yeux au ciel.

— C’est faux, affirma Reyes. Nous le savons tous. Donc, dites-nous spontanément ce que vous lui voulez : ça nous évitera d’employer la force.

Ils croyaient pouvoir l’obliger à parler en employant la force… Les naïfs… Elle croisa les bras, elle aussi.

Quelques minutes plus tôt, ils avaient encouragé Lucien à l’embrasser. Et maintenant, ils avaient l’air de penser que Lucien n’aurait pas pu séduire une aveugle.

— Ce que je veux, c’est sentir sa verge au fond de moi. Ça vous va, comme réponse, bande de crétins ?

Il y eut un silence choqué.

Lucien vint se placer devant elle. Pour la protéger ? C’était vraiment touchant. Inutile, mais touchant. Sa colère se dissipa un peu et elle eut envie de le prendre dans ses bras.

— Laissez-la tranquille, dit-il. Vous lui donnez trop d’importance. Elle n’est qu’une simple femelle.

La joie d’Anya se dissipa. Une simple femelle ? Rien de plus ? Il venait de prendre ses seins dans ses mains et de frotter son sexe en érection entre ses jambes. Comment osait-il la traiter de simple femelle ?

Une brume rouge vint obscurcir sa vision. Elle songea à sa mère, Dysnomia, que les hommes avaient toujours méprisée. Elle comprenait maintenant ce qu’elle avait vécu.

Elle aurait voulu que Lucien la déclare sienne, qu’il avoue avoir besoin d’elle. Pas qu’il la considère comme quantité négligeable.

Dire que je l’ai supplié de m’embrasser, que j’étais prête à me donner à lui…

Elle rassembla tout son pouvoir, toute sa colère, toute sa souffrance et, en poussant un grognement formidable, elle se jeta sur Lucien pour le bousculer. Il fut projeté avec la puissance d’une balle de revolver et alla heurter Paris. Ils poussèrent ensemble un cri étouffé et chancelèrent.

Lucien se ressaisit et fit volte-face vers elle.

— C’est la première et la dernière fois, grommela-t-il.

— Ça ne fait que commencer, rétorqua-t-elle en marchant vers lui, le poing levé.

Il n’allait pas tarder à avaler ses dents si blanches et parfaites.

— Anya, murmura-t-il d’une voix rauque et suppliante. Arrête. Je ne veux pas me battre avec toi.

Elle s’arrêta, saisie, avec la sensation que son sang se figeait dans ses veines.

— Tu sais qui je suis, dit-elle tout bas. Comment est-ce possible ?

Elle s’était manifestée auprès de lui une fois, quelques semaines plus tôt, mais uniquement par la voix, sans se montrer. Il ne l’avait donc jamais vue.

— Tu me suis depuis un moment, expliqua-t-il. J’ai appris à reconnaître ton odeur.

« Tu sens les fraises et la crème, avait-il commenté, quelques instants plus tôt. » À présent, elle comprenait pourquoi cette remarque avait sonné comme un reproche. Elle écarquilla les yeux, partagée entre la joie et la honte : il avait toujours su qu’elle l’observait.

— Pourquoi ne pas m’avoir dit que tu m’avais reconnue ? lança-t-elle d’un ton cinglant.

— Je n’ai compris qui tu étais que lorsque mes compagnons m’ont fait remarquer que tu ne figurais pas parmi les invitées. Et puis, je voulais te sonder discrètement et savoir quel but tu poursuivais.

Il se tut, attendant un commentaire. Comme elle ne disait rien, il insista.

— Quel but poursuis-tu ?

— Puisque tu…

Par tous les dieux… Elle n’avait pas à céder à son chantage.

— Tu me dois une faveur, reprit-elle. J’ai sauvé ton ami et je l’ai délivré de sa malédiction.

Voilà, ça, c’était bien répondu, bien raisonné, et ça présentait l’avantage de détourner la conversation.

— Ah, je comprends, dit-il en se raidissant. Tu es venue réclamer ton paiement.

— Non.

Elle aurait pu répondre oui, pour sauver sa fierté, mais elle voulait qu’il comprenne qu’elle avait réellement envie de lui.

— Le moment n’est pas encore venu, ajouta-t-elle.

Il fronça les sourcils.

— Mais tu viens de dire que…

— Je sais très bien ce que je viens de dire.

— Pourquoi me surveilles-tu depuis des semaines ? Et que fais-tu là ce soir ?

Elle allait répondre, mais Reyes, Paris et Gideon s’approchaient d’elle avec des mines qui n’avaient rien d’engageant. Avaient-ils l’intention de se jeter sur elle pour l’immobiliser ?

Plutôt que de répondre à Lucien, elle s’en prit à eux.

— Qu’est-ce que vous voulez ? Je ne me souviens pas vous avoir invités à vous joindre à nous !

— Vous êtes Anya ? demanda Reyes en la balayant du regard des pieds à la tête, avec une répulsion non dissimulée.

De la répulsion ? Il ne manquait pas de culot. Il aurait dû au contraire se montrer reconnaissant. Elle l’avait délivré d’une malédiction qui le contraignait à tuer tous les soirs l’un de ses compagnons de six coups d’épée. Mais le regard qu’il posait sur elle en ce moment prouvait qu’il la méprisait – comme les dieux qui l’avaient toujours méprisée, persuadés qu’elle suivait le même chemin que sa délurée de mère.

Au début, elle avait souffert de ce dédain affiché, et pendant plusieurs centaines d’années, elle s’était efforcée de se comporter comme une gentille fille, en s’habillant comme une nonne, en ne parlant que lorsqu’on s’adressait à elle – et encore, les yeux baissés. Elle avait même refoulé le besoin de chaos inhérent à sa nature profonde. Tout cela pour gagner le respect de ceux qui s’obstinaient à la considérer comme une traînée.

Mais Dysnomia, sa mère, avait fini par la convaincre qu’elle serait toujours regardée comme une paria, quoi qu’elle fesse. Autant suivre ta nature. Agir comme si tu étais une autre te fait souffrir et leur donne l’impression que tu as honte de ce que tu es. Ils ne cesseront d’alimenter cette honte, et bientôt, tu n’auras plus en toi que ce sentiment destructeur. Tu es un être merveilleux, Anya. Sois fière de toi. Autant que je le suis de moi.

Anya avait donc décidé une fois pour toutes de s’habiller comme bon lui semblait, et de ne plus baisser les yeux vers ses pieds que pour admirer ses talons aiguilles. Elle avait également cessé de refouler son goût pour le désordre. Elle s’était désintéressée de ce que les autres pensaient d’elle. Et surtout, elle avait commencé à aimer la femme qu’elle était.

Et elle s’était promis de ne plus jamais avoir honte d’elle-même.

— C’est intéressant de te voir en chair et en os, après toutes les recherches que je viens de faire à ton sujet, poursuivit Reyes. Tu es Anya, déesse de l’Anarchie, fille de Dysnomia. Une déesse secondaire.

— Secondaire, sûrement pas, protesta-t-elle.

On voyait qu’il ignorait qui était son père, sans quoi il n’aurait jamais osé la traiter de déesse secondaire.

— Mais je suis bien une déesse, ajouta-t-elle en haussant fièrement le menton.

— La nuit où tu t’es présentée à nous et où tu as sauvé la vie d’Ashlyn, tu as nié être une déesse, fit remarquer Lucien. Tu as juste admis être une immortelle.

Elle haussa les épaules. Elle haïssait tant les dieux qu’elle n’aimait pas revendiquer son appartenance à leur caste de privilégiés.

— J’ai menti. Ça m’arrive souvent. Ça fait partie de mon charme, tu ne trouves pas ?

Personne ne répondit. Ils réfléchissaient, sans doute.

— Autrefois, nous étions les guerriers des dieux et nous vivions sur l’Olympe, comme tu le sais sûrement, poursuivit Reyes comme si elle n’avait rien dit. Pourtant, je ne me souviens pas t’avoir rencontrée.

— Je n’étais sans doute pas née, monsieur le raisonneur, ironisa-t-elle.

Un éclair irrité passa dans les yeux sombres du guerrier, mais il poursuivit calmement.

— Je me suis renseigné à ton sujet. Tu as été emprisonnée pour avoir assassiné un innocent. Au bout de cent ans, les dieux se sont mis d’accord sur la punition qu’il convenait de t’infliger, mais avant qu’ils puissent appliquer la sentence, tu as accompli un exploit que nul immortel n’avait accompli avant toi. Tu t’es enfuie de Tartarus, la prison des dieux.

Elle ne chercha pas à nier.

— Tout cela est vrai, dit-elle.

Cette biographie hâtive comportait quelques lacunes et inexactitudes, mais elle ne jugea pas utile de rectifier.

— D’après la légende, le gardien de Tartarus est devenu amnésique après ton départ, et tout le monde s’accorde à dire que tu l’as affligé d’une sorte de maladie. Les dieux ont aussitôt renforcé la sécurité de la prison, mais les murs ont commencé à se fissurer, ce qui a permis aux Titans de s’échapper.

Il n’allait tout de même pas lui mettre ça sur le dos ! Elle lui jeta un mauvais regard.

— Il ne faut pas prendre les légendes au pied de la lettre, répliqua-t-elle sèchement. Elles sont inventées par les mortels qui cherchent une explication à ce qui dépasse leur entendement, et elles correspondent rarement à la réalité. Vous devriez le savoir. On raconte tant de choses sur vous, les guerriers immortels.

— Après ton évasion, tu es venue te réfugier parmi les mortels, poursuivit Reyes comme s’il n’avait rien entendu. Mais tu ne t’es pas tenue tranquille pour autant. Tu as poussé les hommes à faire la guerre, tu as volé des armes et des vaisseaux. Tu as provoqué des incendies ravageurs et autres désastres, semant la panique et déclenchant des émeutes. Par ta faute, des centaines de gens ont été emprisonnés.

Une vague de chaleur lui monta au visage. Oui, elle était responsable de tout ce dont il l’accusait. Quand elle s’était installée sur la terre, elle n’avait pu maîtriser sa nature rebelle. Les années passées en prison l’avaient transformée en bête féroce. Un simple commentaire de sa part – du genre : « Tu ne vas tout de même pas laisser ton frère te traiter de la sorte » – déclenchait des querelles sanglantes entre clans. Il suffisait parfois qu’elle se montre dans une cour – et qu’elle se moque, il est vrai, des règles de l’étiquette –, pour que les chevaliers les plus loyaux fomentent des complots contre leur roi.

Quant aux incendies… Il lui était arrivé, elle devait l’avouer, poussée par une impulsion irrésistible, de jeter des torches à terre pour le plaisir de regarder danser les flammes. Elle avait volé, aussi, incapable de résister à cette voix intérieure qui lui commandait de s’approprier ce qui ne lui appartenait pas.

Elle avait appris que nourrir son âme rebelle en commettant de menus larcins, en proférant des mensonges sans conséquence et en déclenchant de petits incendies, lui évitait de déclencher des catastrophes plus graves.

— Moi aussi, je me suis renseignée à votre sujet, murmura-t-elle. Et je crois savoir que vous n’êtes pas en reste. N’avez-vous pas autrefois détruit des villes entières en sacrifiant sans scrupule des innocents ?

Cette fois, ce fut au tour de Reyes de rougir.

— Mais vous avez changé, poursuivit-elle. Comme m…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase : un vent violent vint tourbillonner autour d’eux en sifflant. Elle battit des paupières, surprise, et mit quelques secondes à réagir.

Les guerriers se figèrent, incapables de résister à la puissance du pouvoir qui les enveloppait. Le temps cessa d’exister pour eux. Ils s’étaient transformés en statues de pierre.

Elle aussi commençait à se sentir gelée.

— Non ! hurla-t-elle.

Les barreaux de son invisible prison tombèrent lentement, comme les feuilles mortes en automne. Personne ne pouvait désormais la retenir prisonnière. Son père y avait veillé.

Elle marcha vers Lucien pour le libérer – même s’il ne le méritait pas, après tant de goujaterie –, mais le vent disparut aussi brutalement qu’il était venu. Elle eut la bouche sèche et son cœur se mit à battre un tango irrégulier. Cronos, celui qui avait détrôné les dieux quelques mois plus tôt, l’avait retrouvée.

Il était là.

Elle eut le temps d’apercevoir un éclair bleu qui illumina la rue comme en plein jour, et d’entendre un bourdonnement de pouvoir qu’elle reconnut aussitôt. Puis elle disparut, en emportant avec elle le goût et le souvenir des baisers de Lucien.

La rose des ténèbres
titlepage.xhtml
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Showalter,Gena-[Seigneurs de l'ombre-2]La rose des tenebres(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html